Manu Bertin vient de réaliser une traversée de l’Atlantique en kitesurf. L’inventeur de cette discipline est arrivé le 17 mai en Guadeloupe, après trois semaines de mer. Il garde le souvenir d’une expérience unique.
Manu Bertin, 43 ans, est l’inventeur du kitesurf. Le 26 avril, il s’est élancé de l’île de la Gomera aux Canaries pour une traversée de l’Atlantique. Pour mener à bien cette aventure, il a utilisé trois supports différents, tous tractés par une aile : une planche, un mini-catamaran (le Kit Cat) et un canot pneumatique. Après plus de 3 000 km sur l’océan, assisté par quatre personnes sur un bateau, il est arrivé le 17 mai à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe.
Comment est né ce projet de traversée de l’Atlantique ?
C’était une évolution logique. Après avoir créé ce sport il y a 12 ans, j’ai pratiqué le kitesurf au Groënland, dans les vagues géantes d’Hawaii, j’ai effectué une traversée de la Manche puis de la Méditerranée entre Saint-Tropez et Calvi. Je voulais porter le sport sur l’océan, porter le kite au large. J’ai travaillé pendant 3 ans sur cette idée de traversée de l’Atlantique.
Quelle préparation nécessite une telle aventure ?
Il faut beaucoup de temps, beaucoup de travail, de rencontres. Le plus dur, c’est déjà de réunir de l’argent. Pour cette traversée, je suis parti avec seulement la moitié du budget que j’avais envisagé. Et se démener pour trouver des sponsors nuit à la préparation physique. On a moins de temps à y consacrer. J’ai fait beaucoup de vélo et d’étirements mais je n’ai pas assez navigué. L’hiver a été très rude en Bretagne et aller à l’eau était délicat. Heureusement, j’ai compensé par mon expérience et le mental.
Quel était votre état d’esprit avant le grand départ ?
Il y avait un peu de frustration et de stress liés au budget serré. Mais j’étais surtout très heureux, très enthousiaste d’avoir réussi à monter ce projet.
Vous avez utilisé trois engins pour cette traversée : une planche classique de kitesurf, un canot et une sorte de siège (le Kit Cat). Pourquoi ce fonctionnement ?
La vie est un mouvement perpétuel : on ne s’arrête jamais vraiment. On est successivement assis, debout, puis couché. Je voulais reproduire cela sur mer. Le matin, je profitais du fait que le vent soit fort pour utiliser la planche. Je naviguais alors à une vitesse de 18 à 25 nœuds. Après trois heures de kitesurfing, quand mes bras et mes jambes étaient épuisés, je prenais place dans un canot, un petit zodiac, toujours tracté par une aile. Cela me permettait de me reposer, de faire sécher mes vêtements, de m’alimenter… Ensuite, après cette pause de 1 ou 2 heures, je montais sur le Kit Cat. Ce truc est vraiment très fun, je me suis beaucoup amusé avec. C’était d’ailleurs la bonne surprise de cette traversée : au départ, je ne savais pas trop comment cet engin se comporterait sur l’océan mais ça a très bien fonctionné. Je pouvais filer à 14 ou 15 nœuds. Le Kit Cat a vraiment de l’avenir.
Pendant ces trois semaines en mer, vous avez été suivi par un voilier. Quel était le rôle des 4 personnes à bord ?
La traversée ne pouvait évidemment pas se faire en solitaire. Les membres de l’équipage me surveillaient en permanence, me passaient ma nourriture, mettaient à l’eau les différents engins, me lançaient les ailes… Ils ont été extraordinaires. A l’arrivée, ils étaient aussi rincés que moi.
Où passiez-vous la nuit : sur le voilier ou dans le canot ?
Le but du jeu était vraiment de rester toujours sur l’eau. J’ai du remonter quelques fois sur le catamaran d’assistance à cause de la météo, je ne pouvais pas attendre 3 mois que le vent revienne. Mais sinon, je dormais dans une tente installée sur le canot. J’ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil au début de la traversée. En fait, on ne dort pas vraiment là-dedans, on somnole. Mais là encore, c’était une solution efficace : pendant que je dormais, le canot avançait grâce à l’aile. Je parcourais 50 miles (un peu moins de 100 km) par nuit sans rien faire !
Que vous a apporté cette aventure d’un point de vue humain ?
J’ai vraiment vécu des moments d’euphorie. Savoir que l’on n’a pas de limites, pas de côtes en face de soi et que l’on peut rider sans fin, cela procure des moments de joie très intenses. Quand les conditions sont bonnes (j’ai toujours eu du vent et quasiment pas de pluie), il n’y a que le plaisir de la glisse. Profiter du lever du soleil sur la planche était aussi extraordinaire. En revanche, c’est un peu difficile de se remettre. J’étais très fatigué en arrivant et, près d’un mois après, je le suis toujours un peu.
Avez-vous eu quelques sueurs froides ?
Oui, il y a eu 2-3 moments chauds où j’ai eu peur. Il m’est arrivé une fois de trop m’éloigner du bateau, qui n’était pas aussi rapide que moi, et j’ai eu un problème technique. Sur ma planche, je suis alors complètement vulnérable. Et puis, on ne peut s’empêcher de penser aux requins ! Une autre fois, j’étais sur le Kit Cat, j’allais très vite et, à la suite d’une fausse manœuvre, j’ai failli foncer dans le bateau d’assistance. Enfin, lors de la 2ème ou 3ème nuit sur le canot, la houle était très forte, j’avais peur du chavirage. Je peux vous dire que je ne faisais pas le malin ! Mais dans l’ensemble, tout s’est bien déroulé.
Vous avez le projet de créer un bateau cerf-volant, tracté par une aile. Cette traversée de l’Atlantique va sans doute vous servir pour ce projet ?
Bien sûr, c’était le but. Je suis vraiment satisfait de voir que les choses ont bien fonctionné. Je suis parti avec des concepts : le Kit Cat, les voiles… mais ils sont devenus réalité. C’est ça qui est très intéressant. Cette 1ère expédition m’a permis d’innover, de mettre au point des techniques. Et j’ai accumulé aussi beaucoup de connaissances sur la mer, sur les voiles, sur les manœuvres à effectuer pour optimiser la traversée. Il ne faut pas rêver : tout ne peut pas être parfait la 1ère fois (même si c’est difficile pour un perfectionniste comme moi de l’admettre !) Ce que je veux, c’est refaire la même chose mais avec un objectif de performance. Je pense même que cela peut devenir un challenge, une compétition avec plusieurs kitesurfeurs. Et puis, je peux maintenant imaginer la suite, avec le bateau à cerf-volant : c’est un défi encourageant. Il va juste falloir que je reprenne mon bâton de pèlerin pour convaincre les sponsors de participer à cette nouvelle aventure !