Charles Baudelaire , les fleurs du mal
**Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,
Des fermes, des vallons, par-delà les coteaux,
Par-delà les forêts, les tapis de verdure,
Loin des derniers gazons foulées par les troupeaux,
On rencontre un lac sombre encaissé dans l’abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux ;
L’eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,
Et n’interrompt jamais son silence orageux.
Dans ce monde désert, à l’oreille incertaine
Arrivent par moments des bruits faibles et longs,
Et des échos plus morts que la cloche lointaine
D’une vache qui paît aux penchants des vallons.
Sur ces monts ou le vent efface tout vestige,
Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil,
Sur ces rochers altiers ou guette le vertige,
Dans ce lac ou le soir mire son teint vermail,
Sous mes pieds,sur ma tête et partout, le silence, le silence,
Le silence qui fait qu’on voudrait se sauver,
Le silence éternel et la montagne immense,
Car l’air est immobile et tout semble rêver.
On dirait que le ciel, en cette solitude,
Se comtemple dans l’onde, et que ces monts, là-bas,
Ecoutent, recueillis, dans leur grave attitude,
Un mystère divin que l’homme n’entend pas.
Et lorsque par hasard une nuée errante
Assombrit dans son vol le lac silencieux,
On croirait voir la robe ou l’ombre transparente
D’un esprit qui voyage et passe dans les cieux.**
… …