Dans un véritable coup de théâtre, les députés français ont adopté peu avant minuit, contre toute attente, des amendements légalisant les échanges de fichiers sur internet via le système « peer to peer » (P2P) lors de l’examen du projet de loi controversé sur droit d’auteur.
Après une bataille de procédure menée par l’opposition de gauche soutenue pour la première fois par les centristes de l’UDF, l’Assemblée nationale a adopté, contre l’avis du gouvernement, deux amendements identiques en ce sens, présentés l’un par le député UMP Alain Suguenot et l’autre par les députés socialistes par un vote à scrutin public par 30 voix pour dont 22 UMP et 28 voix contre.
Ces amendements à l’article premier du projet de loi, étendent à l’internet les exceptions pour copie privée en prévoyant en contrepartie une rémunération des artistes. Cela revient à autoriser le téléchargement sur internet des usages non commerciaux.
Ce vote remet en cause l’architecture du projet de loi mais le gouvernement devrait solliciter une deuxième délibération sur les amendements pour pouvoir les écarter.
Ce texte qualifié de « liberticide » par le PS suscite de multiples inquiétudes chez les internautes, les associations de consommateurs, les journalistes et les universitaires.
Il divise aussi les partis. Les députés PS s’opposent à la secrétaire nationale chargée de la culture au PS, Anne Hidalgo, et au sein du groupe UMP, le texte ne fait pas l’unanimité.
A minuit, les députés n’avaient entamé que quelques-uns des 250 amendements du projet qui comporte 29 articles.
La majorité UMP devait rejeter une motion de renvoi en commission défendue par les socialistes malgré le soutien de l’UDF. C’est la première fois de la législature que l’UDF s’associe ainsi au PS.
« Nous ne pouvons pas accepter la manière dont ce débat est organisé - le texte traîne depuis quatre ans - sous le coup de l’urgence », a affirmé le président de l’UDF, François Bayrou.
Présenté au conseil des ministres il y a deux ans, le texte est discuté en procédure d’urgence (une seule lecture par assemblée).
La mesure la plus controversée concerne la légalisation des mesures techniques de protection empêchant ou limitant la copie de fichiers. Leur contournement est assimilé à un délit de contrefaçon passible de 3 ans de prison et de 300.000 euros d’amende.
« Ce texte touche à la vie quotidienne de millions de citoyens et au-delà à la survie de notre modèle culturel », a souligné Pierre-Christophe Baguet (UDF), pour qui il y a un « risque de renforcer la domination des grands groupes ».
Le PS a dénoncé un projet « dangereux, inadapté et lacunaire », « devenu le drapeau d’une croisade répressive » qui « verrouille l’internet ».
Les socialistes proposent un système de « licence globale ou légale » qui permettrait, moyennant paiement, un téléchargement sur internet. Mais cette proposition a suscité l’opposition d’Anne Hidalgo qui a proclamé que ce n’était pas la position du PS. Le président du groupe, Jean-Marc Ayrault, lui a répliqué en affirmant que la « licence globale » était défendue par « le groupe » dans son ensemble.
L’UMP est aussi divisée sur ce texte, plusieurs députés se prononçant pour cette « licence légale », dont Christine Boutin qui a voté l’amendement légalisant le téléchargement sous condition de rémunération des artistes.
Frédéric Dutoit (PCF) s’est alarmé d’un projet « destiné à protéger les oligopoles » qui présente « les internautes comme des délinquants » et « fait du verrouillage la condition de la protection de la culture ».
Martine Billard (Verts) a jugé qu’il allait « à l’encontre de l’esprit de liberté ».
Le ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres a dénoncé « ceux qui se complaisent en agitant les peurs et les leurres ». Il a assuré que son texte donnait « un statut à la copie privée ». « Nous définissons les termes d’une sécurité juridique qui va permettre l’émergence d’une multitude d’offres légales », a-t-il ajouté.